“Quand j’étais petite, j’allais avec mes parents à Nieuport. Lorsque je voyais passer des majorettes, je me glissais dans leurs rangs et marchais, avec elles, en cadence, je voulais devenir une majorette.
Je suis arrivée à Ostende, disais-je, au beau milieu d’un tourment, une rupture, la perte d’un amour, mon amour de longue date, mon partenaire depuis 25 ans.
Arriver à Ostende, dans cette période hallucinante, où chacun doit se terrer chez lui et ne plus avoir de chez soi.
Tenter de remettre de la perspective.
Quand j’ai entamé ce travail, c’était pour retrouver une forme d’apaisement. Par la peinture, poursuivre mes promenades, voir de la nature, reprendre du souffle.
Le confinement et ses absences de corps semblait en être le phare.
Mon idée était de faire un 360° en peinture, une sorte de champs/contre-champs, mêlant les peintures des paysages, et des textes érotiques.
Je pensais pouvoir révéler les amours secrètes des Flandres.
Ces textes, je les ai écrits, ils existent dans des carnets qui seront publié conjointement au livre d’Ostende.
Mais finalement une seule figure déambule sur la plage, Irène, suivie par trois Hommes en costume. Jamais on ne voit la rencontre, mais ils arrivent, ils descendent sur la plage.
Irène est une femme entre 50 et 60 ans. Elle descend sur la plage, par un escalier qui part du sommet de la dune, on la voit longer la digue, puis marcher sur la plage, lorsqu’elle arrive près de l’eau, elle retire son bustier … et le jette dans les flots.
Elle dégrafe son corset, elle retire ce qui l’étreint. Elle libère sa poitrine.
Elle se libère.
Cette plage, duquel le bleu a disparu, cette plage, mélancolique et déserte.
Est-ce vraiment du confinement qu’il s’agit ou du grand vide, de la solitude qui était la mienne en ce temps de rupture et de chagrin ?
Tout est venu inconsciemment, je n’ai rien prémédité.
Irène, cette femme, qui au seuil de sa maturité apprend à s’écouter et aimer son corps, alors même que ce corps n’est plus dans sa perfection, il commence à avoir des traces , des cicatrices, les marques du temps. C’est alors qu’elle va prendre confiance en elle; Elle se déshabille devant des hommes, prenant plaisir à se montrer.
Irène arpente la plage et petit à petit la couleur va entrer, la musique va se jouer. Des formes abstraites, douces, ou joyeuses, vont égayer le paysage, le recouvrir, une musique de fanfare va envahir l’espace.
La vie va entrer de tous les cotés, ce n’est pas la fin.
C’est en majorette qu’Irène sort du livre, on la voit tête haute et bâton tendu à bout de bras.
Hier, au moment, de faire le montage de ce livre, de trouver le meilleur agencement, tout s’est révélé à moi. Tout s’est comme illuminé. C’était comme une fontaine d’évidences.
Ce livre parle de l’expérience que je traverse : la rupture, les espoirs, l’avenir, l’oubli, le renoncement, mes questionnements en tant que femme, la ménopause, les rencontres, l’amour, le désir, le corps.
La rencontre à l’autre.
On ne se raconte jamais aussi bien que lorsque l’on tente à toute force d’y échapper.
Je suis devenue majorette.
La majorette de moi-même.”